Question-Réponse 27.08.2020 Valentin Ledroit
Et si le Royaume-Uni et l’Union européenne ne parvenaient pas à un accord d’ici la fin de l’année sur leur future relation ? En France, beaucoup se préparent à un tel scénario. Car l’impact sur certains secteurs, territoires et populations serait loin d’être négligeable.
Après avoir quitté l’Union européenne le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni a refusé de prolonger la période de transition post-Brexit. Cette phase intermédiaire, lors de laquelle il ne participe plus aux décisions de l’UE mais reste en partie soumis à sa législation, s’achèvera donc le 31 décembre de l’année en cours. Avec quelles règles pour la future relation entre le pays et les membres de l’Union européenne ?
Au vu des difficiles négociations entre Londres et Bruxelles, l’hypothèse d’une sortie définitive sans accord, ou no deal, refait surface. Le 1er janvier 2021, toutes les frontières entre les deux parties seraient théoriquement rétablies. Avec d’importantes conséquences pour les Français, que l’épidémie de coronavirus pourrait aggraver dans bien des cas (réalisées avant 2020, les études citées dans cet article n’ont pu en tenir compte).
Quels seraient les secteurs de l’économie les plus touchés ?
Un no deal aurait des conséquences variables sur l’économie française, selon les secteurs.
Le commerce
La facture pourrait s’élever à 3 milliards d’euros de pertes d’exportations pour l’Hexagone (d’après l’étude d’Euler Hermes datant d’octobre 2018, donc sans tenir compte de l’épidémie de coronavirus). En cas de sortie du Royaume-Uni sans accord, les relations économiques entre Londres et Bruxelles basculeraient sous le régime de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Concrètement, les deux parties appliqueraient des droits de douane supplémentaires. L’étude avance que l’industrie automobile serait l’un des secteurs les plus affectés par ce changement.
D’autres seraient tout particulièrement concernés, dont les exportateurs français de vins et de spiritueux. En 2019, une bouteille exportée sur huit a pour destination le Royaume-Uni, deuxième plus gros client en valeur du secteur. Plus généralement, les 30 000 entreprises françaises qui exportent au Royaume-Uni – et a fortiori les 3 000 qui s’y sont installées – risquent de subir de lourdes pertes en cas de no deal.
L’agriculture et l’alimentaire
Le Royaume-Uni est, plus généralement, le troisième client du secteur agricole français. Ce dernier a dégagé, en 2018 et 2019, un excédent d’environ 3 milliards d’euros en moyenne vis-à-vis du pays. Un montant cependant en baisse depuis 2016, date à laquelle les Britanniques ont voté “oui” à un retrait de l’Union européenne. Sur les seuls produits laitiers, les droits de douane pourraient atteindre 41 % ! Impliquant donc une baisse potentiellement importante des échanges agricoles entre la France et le Royaume-Uni.
Le Brexit impacte également plusieurs lignes budgétaires du cadre financier pluriannuel, notamment la Politique agricole commune, dont l’Hexagone est le premier bénéficiaire. L’accord conclu le 21 juillet 2020 au Conseil européen prévoit que son budget passe de 388 milliards à 336 milliards pour la période 2021-2027.
La pêche
Pêcheurs en Bretagne – Crédits : photoneye / iStock
Autre secteur très inquiet d’un no deal : celui des marins-pêcheurs français. En cas de retrait brutal le 31 décembre, le Royaume-Uni sortirait immédiatement de la Politique commune de la Pêche (PCP). Et pourrait alors bloquer l’accès à ses eaux, les plus poissonneuses d’Europe. Celles-ci seraient dès lors uniquement régies par son droit, pour tous les pêcheurs européens. Or ceux-ci y effectuent 30 % de leurs captures, voire 60 % à 90 % pour certains poissons.
L’accès aux eaux britanniques est ainsi l’un des principaux points d’achoppement des négociations en cours. Et comme pour la Politique agricole commune, la pêche relève de la compétence de l’UE : les mesures nationales que le gouvernement français pourrait mettre en place afin de limiter la casse seraient donc limitées.
Depuis le 1er février et l’entrée en vigueur du Brexit, des autorisations peuvent toutefois être délivrées garantissant l’accès aux eaux britanniques pour les pêcheurs français. L’île de Guernesey a par exemple mis à disposition, sur son site internet, des formulaires de demande d’autorisation pour les navires immatriculés en France. Ces mesures ne s’appliqueraient plus après le 1er janvier 2021.
En mars 2019, l’UE a également pris une mesure permettant aux pêcheurs européens de recevoir une compensation financée par les fonds européens pour couvrir, au moins en partie, les pertes causées par l’impossibilité d’accéder aux eaux britanniques.
Des dizaines de milliers d’emplois menacés
Selon une étude de chercheurs de l’institut IWH, datant de février 2019 et se basant sur l’hypothèse d’un recul de 25 % de la demande pour des produits européens au Royaume-Uni, ce sont 50 000 emplois en France qui seraient menacés par un no deal.
Si un tel scénario se réalisait, le choc serait plus important pour le Royaume-Uni que pour les Vingt-Sept : une étude publiée en janvier 2018 par le cabinet de recherche Cambridge Econometrics avait estimé qu’au total 500 000 postes au Royaume-Uni étaient menacés par un “Brexit dur”.
Quels territoires subiraient l’impact le plus important ?
Les régions qui seraient les plus touchées par un no deal sont sans conteste celles situées sur le littoral de la Manche : à savoir les Hauts-de-France, la Bretagne et la Normandie. Par leur situation géographique, elles sont intimement liées à la Grande-Bretagne dans leurs échanges.
Pour les Hauts-de-France, le Royaume-Uni représentait 8,8 % des exportations régionales en 2019, en troisième position derrière la Belgique et l’Allemagne. Un retour des barrières douanières et des contrôles pourrait donc particulièrement perturber les échanges.
En Bretagne, pas moins de 500 entreprises commercent avec le Royaume-Uni. Et pour la plupart d’entre elles, échanger avec un Etat tiers, en dehors du marché commun, relève du saut dans l’inconnu. L’ensemble des paramètres à prendre en compte (douanes, normes phytosanitaires et sécuritaires différentes, démarches administratives…) devra les amener à faire évoluer leurs stratégies commerciales. C’est pourquoi la région a mis en place un numéro vert à leur disposition, pour qu’elles puissent se préparer au mieux des conséquences d’un no deal. Le ministère de l’Economie de son côté a lancé un outil d’autodiagnostic pour permettre aux entreprises de mesurer l’impact du Brexit sur leur activité.
Port du Havre, Normandie – Crédits : Nicolas Gihr / iStock
Dans ces trois régions, ce sont surtout les ports, points névralgiques des échanges, qui seront en première ligne en cas de sortie du Royaume-Uni de l’UE sans accord. Avec le retour des contrôles pour l’ensemble des camions, des files d’attentes monstres au départ pour la Grande-Bretagne ne sont pas à exclure. Et ce même si les nouvelles formalités ne devaient durer que quelques minutes supplémentaires par rapport à la situation actuelle, tant les volumes des marchandises sont importants.
En janvier 2019, le gouvernement français avait déclenché un plan national pour faire face à un premier no deal, alors que le Royaume-Uni pouvait quitter l’Union européenne le 29 mars de la même année sans période de transition. Il a alors investi 50 millions d’euros de dépenses publiques dans des travaux d’aménagements dans les ports et les aéroports (comme des parkings destinés à accueillir les véhicules en attente de contrôle, terminés dès le 29 mars), ainsi que 600 embauches, de douaniers notamment.
Mais si les conséquences d’un no deal seront sans doute les plus présentes dans les Hauts-de-France, en Bretagne et en Normandie, l’ensemble du territoire français devrait en subir l’impact. A plus ou moins grande échelle, en fonction des échanges commerciaux.
Quelles seraient les populations les plus affectées ?
Etant donné la variété des secteurs et des territoires pour lesquels un no deal aurait un impact négatif conséquent, la sortie définitive du Royaume-Uni va concerner différents profils de population.
Les plus de 150 000 citoyens britanniques résidant sur le territoire français, évidemment, sont directement concernés par un tel scénario. En application de l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, chaque ressortissant britannique résidant en France avant le 31 décembre 2020 ou venant s’y installer avant cette date devra obligatoirement détenir un visa mention “Accord de retrait” à partir du 1er juillet 2021. La demande pourra s’effectuer en ligne à compter du 1er octobre 2020.
Autre population, qui rassemble des personnes issues de toutes les catégories socioprofessionnelles : les voyageurs, touristes et professionnels, qui souhaitent se rendre au Royaume-Uni. Bien que ceux-ci doivent déjà se soumettre aujourd’hui à un contrôle d’identité aux frontières (le Royaume-Uni n’a jamais fait partie de l’espace Schengen), une sortie sans accord pourrait les confronter à des contrôles douaniers supplémentaires. Avec en particulier des questions sur les raisons de leur voyage et des fouilles de bagages.
Concernant les transports aériens, des dispositions ont été prises pour permettre aux compagnies britanniques de voler librement en Europe jusqu’à la fin de la période de transition. A terme, ce droit pourrait leur être refusé. Selon un rapport de l’association internationale du Transport Aérien, une chute de 3 à 5 % du trafic à destination et en provenance du Royaume-Uni serait à prévoir en l’absence d’accord. Pour y remédier, certaines compagnies britanniques ont ouvert depuis 2017 des filiales dans des Etats de l’UE afin d’assurer l’ensemble de leurs vols intra-européens ou vers des pays tiers.
Eurostar à la gare du Nord, Paris – Crédits : David McKelvey / Flickr
Du côté ferroviaire, en ce qui concerne l’Eurostar, une sortie définitive sans accord signifie aussi des contrôles d’identité et de sécurité supplémentaires. Les voyageurs pourraient donc continuer à emprunter le tunnel, avec ou sans accord, mais la multiplication de ces contrôles et leur caractère inédit seraient susceptibles de provoquer des retards dans les premiers mois suivant un no deal. Aux voyageurs de prévoir d’arriver plus d’avance que d’habitude avant de monter dans le train.