06.07.2020 Agnès Faure
Bien que la politique européenne ait été bouleversée par la crise du Covid-19, la protection de la biodiversité, déjà au cœur du Pacte vert européen, reste l’un des enjeux majeurs du plan de relance présenté par la Commission européenne pour relever le continent. Toute l’Europe fait le point sur l’articulation entre relance économique et protection de la biodiversité imaginée par Bruxelles.
Dans sa stratégie sur la protection de la biodiversité en Europe, la Commission européenne insiste sur la protection des écosystèmes naturels – Crédits : ah_fotobox / iStock
La pandémie de Covid-19 n’a pas eu raison des ambitions écologiques de la Commission, ni de sa volonté d’agir vite, comme présenté dans le Pacte vert ou Green deal européen. Mieux, elle semble l’avoir renforcée dans cette conviction : “La crise provoquée par la pandémie de Covid-19 a mis en évidence notre vulnérabilité due à l’appauvrissement croissant de la biodiversité et démontré l’importance cruciale d’un système alimentaire efficace pour notre société“, indique la Commission européenne. Alors que “plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et des services qu’elle fournit” selon ses estimations, “la protection de la biodiversité se justifie clairement sur le plan économique“.
Dans cet esprit la Commission européenne a présenté le 20 mai 2020 deux stratégies conjointes visant à “renforcer la résilience de l’Europe en enrayant l’appauvrissement de la biodiversité et en mettant en place un système alimentaire sain et durable“. Avec la stratégie “de la ferme à la table“, la Commission s’attaque à des sujets tels que le développement de l’agriculture biologique, la protection des consommateurs ou encore le gaspillage alimentaire et l’utilisation des pesticides. Dans la stratégie européenne sur la biodiversité, elle se concentre sur des enjeux tels que la protection des écosystèmes naturels, le verdissement des investissements financiers de l’UE ou encore la place des espaces verts dans les villes.
Des propositions concrètes
- Protéger et renouveler les écosystèmes
Le premier axe de travail concerne la protection des écosystèmes. De manière générale, la Commission a annoncé vouloir assurer la protection d’au moins 30% de la surface terrestre et 30% de la superficie marine du territoire d’ici 2030, dont 10% d’entre eux de manière stricte. Les zones à protéger seront définies avec les Etats membres sur la base de plusieurs critères et la Commission prévoit que les Etats établissent un cadre juridique adéquat pour préserver ces espaces d’ici 2024.
Pour le milieu forestier, la Commission entend également protéger l’ensemble des forêts européennes et lutter contre la déforestation. Elle prévoit à cet effet de planter au moins 3 milliards d’arbres d’ici 2030 et d’en faciliter l’implantation en ville, dans le cadre du programme LIFE. La mesure serait financée par les fonds de cohésion. Une feuille de route plus détaillée déclinera la réalisation de cet objectif en 2021.
Concernant le milieu marin, en dehors de la mise en place de zones devant faire l’objet d’une attention particulière, la Commission a pour ambition de protéger les espèces qui vivent en milieu marin. Elle prévoit pour cela de renforcer sa lutte contre les pratiques illégales en appliquant “une politique de tolérance zéro” en la matière. Un nouveau plan d’action sera également proposé par la Commission d’ici 2021, centré sur la pratique de la pêche et la préservation des ressources halieutiques et examinera quels engins de pêche peuvent être utilisés sans être dommageables pour l’écosystème marin. Cette transition serait financée par le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
- Dimension agricole de la protection de la biodiversité
Le deuxième domaine d’action concerne la protection des sols à travers les pratiques agricoles. La Commission européenne entend ainsi “travailler avec les agriculteurs afin de soutenir et d’encourager la transition vers des pratiques complètement durables“. Le passage à l’agriculture biologique doit permettre d’améliorer l’état des sols et donc de contribuer à lutter contre le changement climatique. Bruxelles prévoit “[qu’] au moins 25% des territoires agricoles soient cultivées dans le cadre de l’agriculture biologique d’ici 2030“. La transition s’accompagnera d’une réduction de 50% de l’utilisation des pesticides chimiques (développée dans la stratégie sur l’alimentation). En dehors de l’aspect sécurité alimentaire, cette mesure permet aussi de lutter contre le déclin des oiseaux et des insectes pollinisateurs dont la présence est essentielle au bon fonctionnement de la biodiversité.
- Ecologisation des zones urbaines
Sur ce troisième volet, l’objectif est d’inciter les villes à mener des plans “d’écologisation de l’espace urbain” en créant des espaces verts publics (parcs, jardins…), en œuvrant pour la végétalisation de certains bâtiments, ou encore pour la plantation d’arbres dans les rues. Une plateforme dédiée à l’écologie urbaine doit être mise en place par la Commission d’ici 2021, en concertation avec la Convention européenne des maires.
Pour inciter les villes européennes à suivre ces recommandations, la Commission a indiqué que “[ces] plans d’écologisation de l’espace urbain joueront un rôle déterminant dans le choix de la Capitale verte de l’Europe 2023 et de la Feuille verte européenne 2022“. Cette mesure est essentielle pour l’UE qui considère que les espaces verts jouent un rôle dans le bien-être physique et mental des individus. La Commission souligne ainsi que “les mesures de confinement adoptées en raison de la pandémie de COVID-19 ont montré l’importance des espaces verts urbains pour notre bien-être physique et mental“.
- Investissements verts
Le dernier pilier de la stratégie de la Commission européenne se concentre sur le financement de cette transition énergétique. L’exécutif européen prévoit d’y investir 25% de son budget pluriannuel, ce qui représenterait 40 milliards d’euros par an, mais les montants peuvent encore varier en fonction des négociations du cadre financier pluriannuel. Dans sa stratégie sur la biodiversité, la Commission garantit néanmoins que 20 milliards d’euros annuels seraient consacrés à la défense du capital naturel et à la biodiversité, au travers de plusieurs programmes, comme LIFE, ou Horizon Europe (qui succède à la stratégie Horizon 2020 en matière de recherche et innovation).
Des investissements supplémentaires pourront être réalisés au travers des différents plans de relance européen (à travers InvestEU, le programme d’investissement qui succède au plan Juncker) et nationaux. Des fonds privés pourront compléter l’effort, avec des investissements “labellisés” verts, répondant à un certain nombre de critères. En adoptant définitivement un règlement sur la taxonomie, les institutions européennes s’engagent par ailleurs à ce que ces investissements répondent à des critères stricts et qu’ils soutiennent des projets liés à la protection de la biodiversité.
Ambition internationale
En présentant cette stratégie, la Commission a pour ambition de “jouer un rôle moteur dans la lutte contre la crise mondiale de la biodiversité“. Elle entend pour cela s’ériger en modèle dans la protection de la biodiversité, une de ses “priorités” en matière d’action extérieure. Pour ce faire, elle compte développer une “diplomatie du pacte vert” qui vise à assurer un rôle de leader dans le respect des engagements climatiques pris au niveau mondial.
Pour la Commission, “la politique commerciale peut soutenir la transition écologique“. En effet, profitant de l’attractivité de son marché intérieur, l’Union européenne peut y introduire des clauses, et pousser au respect de certaines normes environnementales, que les pays-tiers souhaitant y avoir accès devraient respecter. Cela contribuerait ainsi à “convaincre les autres parties de participer aux efforts déployés”, expliquait la Commission dans son Pacte vert, soutenant que “la transition écologique pour l’Europe ne peut être pleinement efficace que si le voisinage immédiat de l’UE prend aussi des mesures efficaces“.
Les eurodéputés verts ont accueilli d’un bon œil la stratégie de la Commission en la matière, qu’ils voient comme un “signe positif“. Ils ont néanmoins prévenu qu’ils resteraient vigilants sur les moyens alloués pour mettre en œuvre les mesures annoncées, comme l’a notamment souligné l’eurodéputée Marie Toussaint : “La stratégie 2030 doit notamment intégrer une meilleure protection et restauration des forêts : planter des arbres ne suffira pas, il faut des mesures contraignantes”, a-t-elle réagi.
Du côté de la société civile, Surfrider Europe regrette que les océans ne fassent pas l’objet d’une plus grande attention, et appelle l’Union européenne à proscrire toute activité d’exploitation pétrolière dans les océans et les mers d’Europe. “Interdire les forages en mer contribuera en partie à l’objectif de décarbonisation de l’énergie, mis en avant par la [Commission européenne], et à la lutte contre le changement climatique, l’une des principales causes de la perte de biodiversité“, a plaidé l’organisation. Celle-ci a également annoncé attendre “des propositions législatives concrètes” en matière de stratégie “zéro pollution“, alors que les océans sont confrontés à une pollution chimique liée aux déchets aquatiques et à la présence de plastique et de microplastique.