POURQUOI FAUT-IL BÂTIR UN AIRBUS DU VACCIN !

Posté le : 19 juin 2020

Avec un investissement de 610 millions d’euros sur 5 ans sur les vaccins et une volonté de « lancer un mécanisme de relocalisation de certaines productions en santé », la visite présidentielle sur un site de production de Sanofi le 16 juin veut lancer un véritable mouvement de reconquête de la France dans la production de médicament. Est-ce à la hauteur des enjeux ?

Est-ce que la création d’une Europe de la santé, indispensable pour garantir aux Etats membres une souveraineté sanitaire est sur la bonne voie ?

Comme pour le système de santé dans son ensemble, la stratégie de la continuité de la politique menée depuis 20 ans en y ajoutant plus de moyens sera un échec. IL n’est pourtant pas trop tard pour changer de cap et refaire de la France un pays d’excellence pharmaceutique et de santé.

Un décrochage spectaculaire de la France dans les années 2000

Il faut se rappeler qu’avant la crise du Covid, la plupart des responsables politiques français tenait encore un discours laudateur sur le « meilleur système de santé du monde ». La crise n’a été qu’un miroir grossissant sur une réalité d’un déclin français dont l’industrie pharmaceutique est une bonne illustration.

Après avoir été au premier rang de la production européenne de médicaments jusqu’en 2008, la France est aujourd’hui derrière la Suisse, l’Allemagne et l’Italie. En dix ans la valeur de la production française de médicaments a perdu plus de 30% relativement à celle de l’Italie. La valeur de nos exportations de médicaments a été multipliée par plus de 10 de 1990 à 2010 et est stable depuis 2013. Le marché intérieur français est sans croissance entre 2009 et 2017. Le pire est ailleurs.

La France produit essentiellement des vieux médicaments à base chimique, à peine 22% des médicaments consommés en ville et 17% de ceux consommés à l’hôpital. Notre taux de dépendance à l’étranger est de 50% pour les médicaments lancés avant 2000 et de 85% pour ceux lancés après 2010. Alors que les biomédicaments représentent aujourd’hui 4 nouveaux produits sur dix mais l’essentiel de la valeur ajoutée économique, seulement 15% de notre capacité industrielle est dédié aux biotechs.

Dans un pays doté d’un modèle social généreux, centrer la production sur les produits à faible valeur ajoutée est une stratégie perdante. Les représentants de l’industrie pharmaceutique pointent du doigt l’explosion des prélèvements obligatoires des industriels passés de 3,3% à 8,4% du chiffre d’affaires depuis 2010. Mais ceci n’explique pas toute la perte de compétitivité de l’industrie française. Notre positionnement produit est inadapté à notre environnement économique et social d’une part et la gouvernance du médicament ces dernières années a largement nui à l’attractivité de notre marché d’autre part.

Les Pouvoirs Publics ont pris la mauvaise habitude de faire de la politique avec le médicament plutôt que de construire une politique du médicament. L’industrie pharmaceutique est une industrie à cycle long qui nécessite une vision à long terme de la politique menée pour sécuriser les investissements. La gouvernance du médicament en France est court-termiste, sans vision, incohérente et illisible. Ponctuée de mesures nouvelles chaque année, souvent sans rapport avec l’évolution du marché, la politique du médicament a perdu toute ambition industrielle et sanitaire pour ne servir qu’un objectif budgétaire.

Un changement de cap ou la continuité du déclin

Historiquement territoire pharmaceutique d’excellence, la France ne pourra reconquérir son leadership européen que si elle monte en gamme son tissu industriel pour le rééquilibrer au profit des biotechnologies. C’est une condition aussi pour relocaliser des activités de recherche et développement. Vouloir reconquérir notre souveraineté sanitaire en relocalisant la production de paracétamol équivaut à recouvrer notre souveraineté numérique avec le minitel. Les ressources n’étant pas infinies, cette dissémination des moyens sur un tissu de production qui n’a pas de valeur ajoutée économique suffisante pour absorber nos coûts de production n’est pas viable. Elle obèrera le financement des secteurs d’avenir des biomédicaments.

Pour réaliser cette montée en gamme, il faut aussi créer les conditions d’une plus grande attractivité de notre pays sur le plan de l’environnement réglementaire et tarifaire pharmaceutique. L’Institut Santé a formulé plusieurs mesures dont le renforcement de l’expertise scientifique dans les agences, l’établissement d’une valeur thérapeutique relative pour l’évaluation des produits, le rapprochement du Comité économique des produits de santé de l’assurance maladie et le renforcement de la démocratie sanitaire dans les agences pour rétablir la confiance avec la population. Face à l’émergence de nombreuses innovations à forte valeur ajoutée mais coûteuses, la gestion du panier de produits remboursables doit être plus dynamique pour accélérer l’accès au marché et garantir un accès universel aux médicaments les plus innovants.

Les pays les plus performants dans ce secteur pharmaceutique sont ceux qui acceptent la logique schumpetérienne de l’innovation en la priorisant dans le financement de toute la chaine du médicament, aux dépens de technologies devenues obsolètes (destruction créatrice).

Un airbus du vaccin pour l’Europe et le bien commun

En 2000, une coopération industrielle internationale entre les offres aéronautiques françaises, espagnoles et allemandes a conduit à la création d’Airbus qui se partage vingt ans plus tard le marché de l’aéronautique commerciale avec Boeing. C’est grâce à cette initiative que la France et l’Europe dispose d’une base industrielle robuste dans ce secteur et que l’avion soit devenu en quelque sorte un bien public accessible à tous les pays. Le prix d’un avion aurait été probablement prohibitif pour bon nombre de compagnies aériennes si Boeing dominait le marché en tant que seul grand acteur global.

La crise du Covid illustre tous les dangers de la situation actuelle des rapports de force sur le marché des produits de santé dominés par les USA (biotechnologies) et la Chine (masques, principes actifs) selon les types de produits. Pour les vaccins, l’Europe a encore une place forte. Quatre entreprises ont autour de 20% de part de marché mondiale chacune, dont deux européennes (GSK, Sanofi) et deux américaines (Pfizer, Merck&Co). Une coopération industrielle à partir des actifs européens créerait un leader mondial qui aurait une capacité suffisante pour garantir la souveraineté européenne sur les vaccins et faire du vaccin un bien public mondial.

La réémergence du risque pandémique, en partie liée à la mondialisation accélérée des échanges, est une nouvelle donne du XXIème siècle qui fait des produits de santé une composante du soft power des Etats et des continents. La prise de conscience de l’importance de bâtir une Europe de la santé est une conséquence positive de la crise, il faut maintenant lui donner un avenir et du concret.

S’il est probablement trop tard pour reconquérir notre souveraineté numérique, la bataille pour notre souveraineté sanitaire et industrielle n’est pas perdue.  Cela passe par refaire de la France une terre d’excellence pharmaceutique dans les biotechnologies et le socle d’un Airbus des vaccins.

Frédéric Bizard

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