Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
16 avril 2020, 19:21 CEST
Auteurs
- Etienne FarvaqueProfesseur d’Économie, Université de Lille
- Cristina BadarauMaître de conférences HDR, LAREFI, Université de Bordeaux
- Florence HuartAssociate professor of Economics, Université de Lille
- Gregory LevieugeChercheur associé, Université d’Orléans
Chaque mois de confinement devrait coûter au moins plusieurs points de PIB aux pays européens (3 points pour la France, selon l’Insee), avec évidemment des effets différents selon les secteurs économiques (la restauration, le tourisme, mais aussi l’immobilier étant parmi les plus touchés, par exemple).
Si certains des achats qui n’ont pas été effectués pouvaient être reportés, ce qui permettrait de favoriser la sortie de crise, ce ne sera pas le cas de tous, et personne n’est en mesure de savoir comment réagiront les consommateurs européens. De même, on peut craindre qu’un certain nombre d’entreprises n’aient pas la trésorerie ou les relais financiers nécessaires pour reprendre leur activité de façon normale après le confinement, avec les effets que cela aura en termes de pertes d’emplois.
Face à ce choc inédit, chaque pays a mis en œuvre des mesures spécifiques pour soutenir les revenus de ses citoyens et l’activité de ses entreprises, de façon dispersée, et avec des combinaisons très variables d’un pays à l’autre. La pandémie aura donc des conséquences sur les finances publiques des États européens.
Les eurobonds reviennent dans le débat
À l’échelle européenne, une lecture littérale du cadre légal de surveillance des déficits et dettes, qui reviendrait à sanctionner les États dont les finances publiques se sont fortement dégradées, n’est donc plus adaptée. De surcroît, ces États pourraient être sanctionnés par les marchés, avec un risque important de fragmentation de la zone euro.
Il pourrait être décidé d’exclure de la surveillance les effets des mesures prises en 2020, comme le préconisent certains économistes européens, mais quid alors de 2021 ? En effet, les reports et allègements de taxes, et de charges, n’auront d’impact sur les finances publiques qu’avec un certain délai.
En conséquence, la nécessité d’instruments de solidarité européenne automatiques s’impose. Parmi ces mécanismes, la création de titres de dette européens collectifs est aujourd’hui fortement débattue. La question d’une mise en place d’eurobonds, ou euros-obligations, revient notamment sur la table. Fin mars, neuf dirigeants européens, dont le Français Emmanuel Macron et l’Italien Giuseppe Conte, ont notamment appelé à lancer ces titres de dette européenne sous le nom de « coronabonds ».
Ce système d’emprunt en commun, contracté par l’ensemble des États membres plutôt que chacun de leur côté, avait déjà été imaginé par Jacques Delors en 1993, alors qu’il était président de la Commission européenne. Sa mise en place avait également été évoquée en 2010, lors de la crise de la zone euro, avant d’être abandonnée en raison de l’opposition de certains pays, Allemagne en tête.
Cet instrument de financement a l’avantage d’assurer un partage des risques financiers entre États membres de l’Union européenne (UE), par une mutualisation des risques de défaut de remboursement. L’intérêt des titres communs est, en effet, de partager la même prime de risque. L’ensemble des États se porte ensuite garant du remboursement.
Sur le plan institutionnel, le Mécanisme de stabilité européen (MSE), dispositif de gestion des crises financières, pourrait émettre des eurobonds pour couvrir les dépenses lorsqu’un pays fait face à un désastre, et ce sans devoir subir des hausses démesurées de taux d’intérêt, préjudiciables à tous.
Certes, certains États membres ont notoirement désapprouvé l’idée d’eurobonds il y a 10 ans, et aujourd’hui encore. On retrouve au premier rang d’entre eux les Pays-Bas, avec l’Autriche et la Finlande. En Allemagne, même si la chancelière Angela Merkel s’est déclarée opposée à cette piste fin mars, la classe politique allemande reste divisée sur le sujet.
Selon ces sceptiques, la solidarité européenne a déjà trouvé les moyens de s’exprimer à travers les mesures prises. La Commission européenne a en effet déjà proposé un programme d’assurance chômage temporaire, la Banque européenne d’investissement a l’intention de lancer un programme de prêt aux entreprises le nécessitant, et le MSE a annoncé l’ouverture de lignes de crédit, sous certaines conditions d’octroi.
La carte des litiges des #eurobonds #Eurogroup
411:16 PM – Apr 7, 2020Twitter Ads info and privacySee Alessandra Loiacono’s other Tweets
Ils redoutent surtout que l’émission de titres communs entraîne une déresponsabilisation de certains États déjà fortement endettés, la fin de la discipline budgétaire européenne, et une prime de risque plus élevée sur leurs propres emprunts si elle est calculée sur la base du risque global.
Un premier pas vers les D-bonds ?
Cependant, il est probablement possible de trouver un compromis entre États membres. D’une part, on peut montrer que les conséquences économiques pour les États fiscalement vertueux ne sont pas nécessairement négatives. D’autre part, il convient de rappeler que ces titres n’induisent qu’une mutualisation très partielle des risques, et dans des circonstances bien définies. En outre, dans le cadre légal actuel, seul le MSE serait autorisé à émettre des eurobonds, pour financer uniquement des dépenses liées aux désastres.
Outre que le choc pandémique actuel renforce la nécessité de mutualiser les risques entre des pays qui partagent, plus qu’un budget et qu’une monnaie, des valeurs, un tel instrument pourrait préfigurer la mise en place d’obligations souveraines plus larges que l’on pourrait qualifier de D-bonds (D pour désastre et bonds pour obligations) qui financeraient les interventions publiques en cas de désastres : épidémies, mais aussi inondations, incendies, sécheresse, tremblements de terre, terrorisme, etc.
En effet, le changement climatique ne se traduit pas seulement par une élévation des températures, et donc du niveau des mers et des océans (ce qui, en soit, concerne quelques-uns des pays européens) mais implique également une instabilité climatique accrue, qui touchera chacun des pays membres, mais de façon probablement différente (inondations ici, sécheresse ou tempête là, etc.).
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31:29 AM – Jan 8, 2020Twitter Ads info and privacySee Conversation France’s other Tweets
Les D-bonds permettraient de faire face, de façon solidaire, à ces chocs. Leur création n’est donc pas seulement un enjeu de solidarité immédiate, mais permettrait également de préparer l’avenir, de façon coopérative et collective.
Pour reprendre les termes de Jean‑Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, ces D-Bonds « ne sont pas une idée folle. Il n’y a aucun doute que cet instrument sera nécessaire ». Autant donc profiter de la crise actuelle pour le préparer et faire face à la prochaine crise…