Cycle de conférence 2022/2023 – Ambition et leviers pour une souveraineté européenne dans le domaine économique

Christian HOFERER

Président Paneurope Jeunes Allemagne

Olivier MUGNIER

Membre du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), corapporteur de l’Avis du Conseil économique, social et environnemental sur proposition de la commission des affaires européennes et internationales

Propos introductifs par Éric CAMPION, Président de PanEurope France

Nous vivons actuellement une véritable rupture géopolitique avec :

  • La montée en puissance de la Chine,
  • Le déclin de l’influence de l’Europe,
  • L’invasion de l’Ukraine par la Russie,
  • L’inflation galopante sur l’ensemble de la planète,
  • La dépendance de pays tiers (hors Europe) pour tout ce qui concerne les matières premières énergétiques (pétrole, gaz), minières (silicium, métaux rares, …) et les matières premières agricoles (bl, soja, tournesol,…).

À cela il convient d’ajouter une pénurie de main d’œuvre qualifiée tant dans le domaine industriel classique que dans celui des nouvelles technologies.

Le modèle européen est-il adapté ? Plus généralement, le modèle économique mondial est-il adapté à un monde de près de 8 milliards d’habitants ?

Intervention d’Olivier MUGNIER, Membre du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), corapporteur de l’Avis du Conseil économique, social et environnemental sur proposition de la commission des affaires européennes et internationales

En premier lieu, on observe que la crise de la Covid-19 a été une première prise de conscience de la vulnérabilité de l’Europe, notamment en matière d’approvisionnement en masques et en paracétamol. La guerre en Ukraine a été un révélateur de nos dépendances en matière énergétique et en denrées agro-alimentaires. A cet égard, même si la France a été relativement épargnée sur le plan énergétique, elle reste fragilisée.

La volonté du CESE dans son rapport a été de proposer une vision globale de la situation pour proposer des solutions applicables et facilement transposables dans l’ensemble des pays de l’UE. Il s’agissait également de ne pas remettre en cause les textes existants pour ne pas se perdre en longues discussions et en débats stériles.

L’attitude de la commission du CESE est pragmatique. Sur la base de ces réflexions, le CESE fixe les ambitions suivantes :

  • Une Europe de la puissance : la France et l’Allemagne ne pourront pas y aller seules, il faudra entraîner les autres Etats Membres dans cette dynamique de la recherche de la puissance européenne.
    • Des interdépendances choisies et non subies : trouver un chemin dans lequel chaque pays choisit et non pas subit les propositions.
    • Un levier pour les transitions et notre modèle social : se doter de leviers grâce à l’autonomie stratégique et promouvoir le modèle social français.

Pour atteindre ces ambitions, le CESE a identifié 4 leviers :

  • La gouvernance
  • La politique industrielle
  • Le rôle et l’implication de la société civile
  • Les outils actuels ou en cours de négociation

Pour chacun de ces piliers, le CESE a développé des axes d’actions et des préconisations détaillés dans le rapport du CESE. Ce rapport est disponible à l’adresse suivante : https://www.lecese.fr/travaux-publies/ambition-et-leviers-pour-une-autonomie-strategique-de-lunion-europeenne-dans-le-domaine-economique

Quelques points d’attention ont été rappelés :

  • L’importance d’accompagner les acteurs : Ce que l’on observe, c’est qu’il est absolument nécessaire d’accompagner les acteurs dans cette démarche en leur offrant un cadre législatif clair. Par exemple, il semble aujourd’hui essentiel de revenir à une production locale et de promouvoir une économie sociale et solidaire en privilégiant l’écoconception et l’économie circulaire. On se rend aujourd’hui compte que l’on a abandonné certaines productions au profit des productions à forte valeur ajoutée. Ceci a été encouragé par un transport peu coûteux et des coûts de main d’œuvre faible. La crise de la Covid-19 et la Guerre en Ukraine mettent en évidence l’importance d’y remédier pour avoir des chaînes d’approvisionnement moins vulnérables. Par ailleurs, il est indispensable de relancer les efforts dans la Recherche & le Développement. Aujourd’hui, on est bien loin des objectifs prévus dans le Traité de Lisbonne (3 % du PIB). Il est important de développer cet accompagnement des entreprises qui doivent s’arrimer sur des modes de production différents.
  • L’importance d’un cadre politique volontariste : En parallèle, il faut apporter un cadre politique volontariste de recherche et de formation et mobiliser les outils européens pour accompagner les réindustrialisations.
  • L’importance de renouveler les règles de la concurrence : L’amendement des règles de la concurrence est nécessaire pour favoriser l’émergence d’entreprises référentes en matière de production, d’innovation et de normalisation.
  • L’importance de normaliser les règles européennes : Cette démarche de recherche et d’innovation doit participer à la normalisation des règles européennes. L’une des forces de l’Europe est de pouvoir imposer ses normes sur le marché international. Aujourd’hui les normes sont américaines, ou de plus en plus chinoises.
  • L’importance de travailler en bonne intelligence avec la société civile. Il paraît important de travailler dans une concertation pour obtenir l’adhésion du public. On sait faire des enquêtes d’utilité publiques mais en même temps tous les projets ne s’y prêtent pas ou sont bloqués par le phénomène NIMBY (Not in my back yard ou pas chez moi). L’idée n’est donc pas de s’intégrer uniquement dans un contexte local mais aussi national pour que les contraintes soient acceptées.
  • L’importance de renouveler les accords commerciaux européens : Il est nécessaire de rendre opposable les clauses sociales et environnementales dans tous les accords de commerce et d’investissements négociés. Il faut pour cela définir des objectifs de négociation plus transparents et définis avec la société civile.
  • L’importance d’utiliser les outils existants ou en cours de négociation : Pour conforter l’instrument des projets importants d’intérêt européens communs, le CESE appelle la France et chaque État membre à se doter des moyens nécessaires pour en faciliter l’accès aux entreprises, notamment par des financement proportionnés aux besoins. La Commission européenne doit en fluidifier l’instruction par la réduction des délais de réponse et par des procédures d’agrément adaptées. Contrôle de subvention étrangères, réciprocité des marchés publics, anti-coercition : les outils existent mais il faut qu’ils soient utilisés. Il y a également des outils à mettre en œuvre comme les clauses miroirs sectorielles ou encore mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il est également nécessaire d’adopter les textes relatifs au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et à l’interdiction d’entrée sur le sol de l’UE de produits issus du travail forcé. A cet égard, le CESE prône une réforme des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour assurer des conditions de concurrence équitables.

En somme, « l’Europe a toutes les cartes en main, mais il faut vouloir jouer la partie ». L’UE a sans aucun doute un rôle à jouer pour la rénovation du multilatéralisme en s’appuyant sur ses valeurs démocratiques et son modèle social.

Intervention de Christian Hoferer, Président de Paneurope Jeunes Allemagne

Dans son intervention, Monsieur Hoferer a souligné deux points qui apparaissent de première importance pour la souveraineté allemande :

  • L’Allemagne n’a quasiment pas de matières premières, elle doit tout importer. Ce que l’Allemagne peut faire, c’est d’assembler pour exporter dans le monde entier. Ce point est fondamental pour comprendre l’économie allemande. Ainsi, l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne repose sur l’importation de gaz naturel qui représente aujourd’hui 26 % de la consommation d’énergie primaire. Surtout, 49 % des foyers allemands sont chauffés au gaz. Ces chiffres montrent la dépendance de l’Allemagne au gaz naturel. Compte tenu de l’augmentation des prix des matières premières et de l’inflation générale, la situation est compliquée. Il apparaît clair que la Russie ne peut pas être un partenaire énergétique viable. Il est grand temps que les erreurs du passé soient corrigées. Pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en place une union énergétique qui assure un approvisionnement énergétique fiable et à des prix abordables. Il est également nécessaire de créer un mix énergétique équilibré et laisser chaque région produire avec la source d’énergie la plus adéquate et pertinente. Ce mix énergétique doit ouvert et flexible. Le maître mot est la diversification.
  • L’Allemgane est devenue dépendante vis-à-vis de la Chine : les chiffres des importations et des exportations de l’Allemagne placent la Chine comme le partenaire privilégié de l’Allemagne. Les constructeurs investissent massivement en Chine. Cette tendance est beaucoup plus marquée qu’avant la crise de la Covid-19. Par exemple, 37 % des voitures de BMW sont vendues en Chine. La Chine investit également en Allemagne (start up). Le rachat de l’entreprise KUKA AG par des investisseurs Chinois en est l’illustration. Cette entreprise de robots utilisés par les constructeurs automobiles, a été racheté à un prix que personne ne pouvait surpasser. Cette tendance est très dangereuse et rend dépendante l’Allemagne aux orientations politiques du gouvernement Chinois.

Face à ce double constat, il est nécessaire de repenser l’indépendance économique de l’UE en concluant de nouveaux accords de libre échange.  N’oublions pas que la Nouvelle Route de la Soie n’est qu’un énorme rouleau compresseur de la Chine pour imposer son hégémonie sur le monde.

Ressources

« Ambitions et leviers pour une autonomie stratégique de l’Union Européenne dans le domaine économique »

Rapport disponible à l’adresse : https://www.lecese.fr/travaux-publies/ambition-et-leviers-pour-une-autonomie-strategique-de-lunion-europeenne-dans-le-domaine-economique

Article sur le rachat de l’entreprise Kuka Ag

Source : https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/la-chine-decapite-la-direction-du-geant-allemand-kuka-150573

Session de débat   

Réaction : Les outils existent, il faut vouloir les appliquer. Ce n’est pas simple de refuser les lois du marché. L’UE aujourd’hui a tous les outils nécessaires mais ce n’est pas appliqué, en tout cas pas de manière uniforme.

Réaction : La suppression du nucléaire a été une erreur pour l’indépendance énergétique allemande. Et, concernant l’avancée de l’emprise chinoise : il est étonnant d’observer que la prise du port du Pyrée par la Chine n’a eu aucun écho dans les médias européens. Il s’agit pourtant d’une base avancée des Nouvelles Routes de la Soie. Cette naïveté européenne face à la Chine est désolante. Il faut de la volonté.

Réaction : Concernant la capacité à reprendre le dessus, il y a peut-être également une problématique sur les choix technologiques. De fait, l’abandon du nucléaire il y a quelques années a entraîné une perte de main d’oeuvre au profit de pays en développement, qui arrivent aujourd’hui à nous dépasser. La Chine ne copie plus, elle est le premier dépositaire de brevets. Elle a su apprendre et devient une puissance. Il faut se questionner : pourquoi les Chinois sont-ils meilleurs que nous ?

Question : Qu’est-ce que l’on peut imaginer pour concrétiser la préférence européenne ? On ne peut pas la concevoir au niveau global. On ne peut pas se fermer totalement. L’Europe n’a pas la capacité des États-Unis. La préférence européenne  ne peut donc se faire qu’avec des valeurs et des équivalences. Il faut arrêter d’accepter des productions que l’on ne veut pas voir sur notre territoire ou encore d’accepter les subventions déguisées. Il faut jouer sur les outils qui existent (l’interdiction de l’entrée de produits non conformes, les clauses miroirs). C’est la meilleure manière d’y arriver. On est dans une situation de double fracture. Il faut raisonner en coopération renforcée. Il faut une concurrence équilibrée. Les Fondateurs ont choisi la voie difficile. Les problèmes que l’on voit aujourd’hui sont des problèmes de facilité : on a choisi la facilité. On ne s’est pas suffisamment tourné vers nos territoires.

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