Europe de la santé, évolution ou révolution ?

Par Florence Chaltiel-Terral

Quelle Europe de la santé demain, après la crise du Covid-19 ? En appui sur les Traités, l’Union européenne dispose de réelles possibilités juridiques d’action pour renforcer sa souveraineté sanitaire. Mais la question la plus sensible reste celle de la capacité des États à s’accorder et de l’ambition qu’ils souhaitent porter.

Depuis quatre mois, l'Union européenne est  durement touchée par la pandémie de Covid-19 - Crédits : iStock 2020

Depuis quatre mois, l’Union européenne est durement touchée par la pandémie de Covid-19 – Crédits : iStock 2020

C’est au cœur de deux notions cardinales que se trouve l’idée d’Europe de la santé, la souveraineté et la subsidiarité. La souveraineté, traditionnellement nationale, s’étend vers les instances européennes, titulaires de très nombreux pouvoirs de décisions. La subsidiarité, inscrite dans les traités européens depuis le traité de Maastricht, signifie que si les effets ou les impératifs d’efficacité d’un sujet dépassent le cadre d’un État – à l’exception des compétences exclusives confiées à l’UE – alors l’Union européenne est légitimée à intervenir.

L’idée d’avoir une Europe souveraine, dans la dimension d’indépendance que comporte la définition de la souveraineté, apparaît essentielle en termes d’équipements et de politiques de santé. De même, affirmer que les effets d’une pandémie dépassent les frontières d’un Etat est une évidence. Ces éléments expliquent la nécessité affirmée haut et fort par le couple franco-allemand, d’une Europe de la santé, qui est aujourd’hui une compétence d’appui de l’UE.

Lors de leur conférence de presse commune, le lundi 18 mai 2020, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, ont en effet donné une véritable dynamique au couple – au moteur, dira-t-on plutôt dans ce contexte, – franco-allemand. Alors que l’Europe est encore groggy de plusieurs semaines de pandémie, que cette dernière, si elle semble se tarir, n’est sans doute pas terminée, l’initiative franco-allemande sur “le redressement économique de l’Europe”, manifeste une forte volonté politique.

Le plan de relance à hauteur de 500 milliards d’euros, tel qu’il est proposé, est un engagement remarquable, mais il devrait faire l’objet de sérieuses discussions avec les vingt-cinq autres Etats membres. Parmi les mesures annoncées dans cette initiative, il est à noter, la mise en évidence manifeste d’une “volonté de doter l’Europe de compétences très concrètes en matière de santé”.

Le Président de la République française a affirmé que “cette Europe de la santé n’a jamais existé, elle doit devenir notre priorité”.  Cette volonté, qui fait écho à la notion de souveraineté européenne que le président emploie désormais couramment, suscite néanmoins plusieurs interrogations.

Plusieurs questions devront être en effet abordées par les Etats membres pour mettre en place une Europe de la santé plus ambitieuse que celle que les traités ont déjà permis de construire. La première est celle de la concordance des bases juridiques existantes et des politiques envisagées. La deuxième est justement le périmètre des actions européennes sur lesquelles les Etats et les institutions de l’Union voudront agir. La troisième enfin, et non des moindres, est celle de la capacité des Etats à s’accorder sur des politiques et actions de nature à donner corps et vie à une véritable Europe de la santé. C’est de la réponse à cette question que dépend la nature d’évolution ou de révolution.

Les bases juridiques de la compétence européenne en matière de santé sont limitées mais transversales. Selon le traité de Lisbonne, un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. Ainsi, même si la compétence en matière de santé demeure une compétence essentiellement nationale, celle de l’Union étant une compétence d’appui, la liste des domaines énumérés par l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union est large.

Par conséquent, à la première question posée de la concordance des actions envisagées et des bases juridiques, il est possible de répondre en deux temps. Premièrement, le champ de l’article 168 inclut notamment la prévention des maladies, la lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, ainsi que la lutte contre les menaces transfrontières pour la santé. Les volontés affichées de mesures concrètes en faveur de la santé sont donc incluses. Deuxièmement cependant, la méthode de travail prévue par le traité, n’est pas fondée sur les méthodes dites intégrées que sont l’harmonisation ou l’uniformisation, mais plutôt des méthodes de coopération ou de coordination.

Dit autrement, les Etats pourront s’accorder sur des mesures dans un champ très large, mais selon une intensité d’action limitée à de la coordination. Il reste que les traités autorisent l’adoption de mesures contraignantes, comme par exemple l’obligation d’avertissement de danger sur les paquets de cigarettes.

La question du périmètre, qui est la deuxième interrogation suscitée par les annonces du couple franco-allemand, s’observe dans les programmes conduits par l’Union européenne. Ainsi, sur la base des dispositions précitées des traités, le programme qui s’étend de 2014 à 2020 est orienté sur quatre objectifs que sont la prévention des maladies, la protection contre les menaces transfrontières, la recherche de systèmes de santé innovants ainsi que la favorisation de l’accès des citoyens à des soins de santé sûrs et de qualité.

Sur ces bases, juridiques et programmatiques, plusieurs agences européennes travaillent sur le domaine de la santé. Il en est ainsi de l’agence européenne des médicaments, ou encore de l’agence exécutive en charge de la mise en œuvre des programmes sur la santé.

Ainsi, les réponses aux deux premières questions semblent aller dans le sens de possibilités juridiques indéniables d’action pour l’Union européenne en vue de renforcer ce que l’on pourrait appeler sa souveraineté sanitaire. Cette dernière implique, selon la prise de position du couple franco-allemand, la promotion de la recherche à l’échelon européen, l’objectif de disposer de matériels nécessaires à la protection de la santé des personnes sur le territoire européen, tels des médicaments en qualité et en nombre satisfaisants, tels encore des masques en période de pandémie, mais aussi de tout produit utile à la protection  de la santé.

Il va de soi que sur plusieurs domaines, les bases juridiques en matière de santé seront utilisées en même temps que les bases juridiques dans des domaines connexes, comme ceux de la libre circulation des personnes – qu’il est possible de restreindre si nécessaire, ce qui est en l’occurrence le cas- , mais aussi de la libre circulation des biens et des services, de la recherche – en matière de vaccins- mais aussi de propriété intellectuelle, ou encore du principe de reconnaissance mutuelle et de celui de coopération loyale.

La troisième question est dès lors la plus redoutable et sensible, celle de la capacité des Etats à s’accorder. Si la notion de moteur franco-allemand est essentielle, le principe même d’une Europe de la santé à 27 exige des discussions entre chaque Etat membre. Or la compétence des Etats en matière d’ordre public, incluant la protection de la santé, reste essentielle. On se souvient ainsi de la crise de la vache folle, qui conduisit la France à refuser de lever l’embargo sur le bœuf britannique. La question est donc de savoir si depuis cet épisode, il y a plus de vingt ans, une maturité de l’intérêt général européen s’est développée.

Au programme des discussions, outre les sujets cités plus haut, figureront ainsi, sans pouvoir être exhaustif, la question de la formation des médecins, celle de la possible constitution d’un Groupe d’intervention et de gestion des nuisances sanitaires, celle de la possibilité de renforcer le budget de la recherche médicale afin de renforcer l’indépendance européenne en matière de vaccins, la mutualisation des stocks en matière sanitaire. Sans doute faudrait-il aussi faire un lien avec le sujet des lanceurs d’alerte sur lequel l’Union a déjà légiféré.  Ce sont là autant de défis que l’Union doit relever, ce qui est une occasion à ne pas manquer de renforcer son crédit et sa légitimité.

Florence Chaltiel-Terral est agrégée de droit public et professeure des universités à Science Po Grenoble. Rédactrice en chef de La Revue de l’Union européenne (Dalloz),

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