par Ministère des Armées
Sécheresses, inondations, incendies… Les phénomènes météorologiques extrêmes présagent une insécurité alimentaire grandissante et des migrations environnementales massives. En amplifiant les tensions internes dans les pays fragiles et les conflits pour l’appropriation ou le partage des ressources, le dérèglement climatique menace la paix mondiale.
« Un monde plus chaud sera aussi un monde plus violent » soutient Nicolas Regaud, conseiller climat du major général des armées. Le dérèglement climatique a, par des liens complexes, un impact sur la sécurité internationale et les enjeux de défense. Amplificateur de crises, il peut aller jusqu’à provoquer des bouleversements politiques et géopolitiques majeurs.
Dérèglement planétaire globalisé
Le réchauffement global de la planète est sans appel. L’augmentation d’1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle est inévitable, et ce avant 2040 alerte le 6e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec). Les conséquences sur l’environnement sont dévastatrices : sécheresses, pénuries d’eau, incendies, élévation du niveau de la mer, inondations, fonte des glaces polaires, tempêtes… Ces phénomènes climatiques extrêmes sont voués à s’intensifier puisque, selon les pires scénarios, la température mondiale se hissera à 5,7°C à la fin du siècle.
Les populations vulnérables sont les premières victimes. La détérioration des systèmes agricoles, la raréfaction de l’eau et la diminution des ressources halieutiques laissent entrevoir une insécurité alimentaire grandissante. Le Giec estime que 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des zones hautement vulnérables au dérèglement climatique : soit près de la moitié de la population mondiale. L’exode climatique prend un sens inquiétant. En 2020, 30 millions de personnes se sont déplacées du fait de la dégradation de leur environnement, en majorité dans leur propre pays et vers les villes. « 30 millions de personnes, c’est 3 fois plus que le nombre de personnes déplacées à cause des conflits et des violences » atteste François Gemenne, co–directeur de l’ObservatoireClimat et Défense du ministère des Armées.
Une lutte pour l’appropriation des ressources
Ces phénomènes climatiques exacerbent les tensions politiques, économiques et sociales déjà existantes. Au centre des convoitises : les ressources, qu’elles soient en eau, en minerais, agricoles ou énergétiques. Par le dialogue et la prise de conscience des différents acteurs, des organisations partageant équitablement les ressources peuvent être trouvées et apporter une solution pérenne aux aléas du dérèglement climatique. L’accord historique entre le Liban et Israël à la suite de la découverte d’un important gisement de gaz en Méditerranée orientale en est une illustration. Néanmoins, les ressources font aussi l’objet de compétitions, parfois violentes. Les perdants, privés de ces biens, voient leurs conditions de vie se dégrader. Pour pallier au manque, le recours à des activités illicites devient une alternative.
Un exemple : dans le Golfe de Guinée, les ressources halieutiques représentent 45% de l’alimentation. Avec plus de la moitié des prises provenant de la pêche illégale, les sept millions d’employés du secteur sont privés de revenus financiers. Dans cette « zone maritime la plus dangereuse du monde » selon le MICA center*, la criminalité accélère au même rythme que les conditions climatiques ne se détériorent. De l’autre côté du continent africain, la côte somalienne est submergée de déchets, déversés par les marées de l’océan Indien. Les grands courants océaniques sont perturbés, les eaux contaminées et les stocks de poissons épuisés. Les populations côtières, déjà touchées par l’érosion et la hausse du niveau de la mer, se tournent vers la piraterie. Prise d’otages et vol de cargaison sont un moyen de survie.
Déstabilisation étatique, socle du terrorisme
Fragilisés, certains États ne parviennent plus à satisfaire les besoins primaires de leur population. Dans ce contexte, les structures nationales s’écroulent et les groupes armés terroristes étendent leur influence sur les populations vulnérables. En instrumentalisant la menace sur les moyens de subsistance, ces groupes en profitent pour recruter le maximum d’individus.
L’exemple de la région du lac Tchad est édifiant. À la frontière du Tchad, du Niger, du Nigeria et du Cameroun, ce lac se meurt et emporte dans sa chute les 30 millions de personnes dépendantes de cette source d’eau douce pour survivre. Alors qu’elle représentait 25 000 km2 dans les années 1960, les températures n’ont depuis cessé d’augmenter et les précipitations de se raréfier, réduisant de 90% la surface du lac. Forcés à l’exode, les pêcheurs, agriculteurs et bergers ont ravivé des tensions interethniques anciennes avec les propriétaires des terres voisines. Face à la famine et la désertion des pouvoirs publics, l’organisation terroriste Boko Haram multiplie les exactions. Résultats : les violences, la circulation des armes à feu et les zones de non-droit sont démultipliées. Les populations remettent alors leur sécurité entre les mains de milices armées, dont elles deviennent une cible facile. Conséquences : plus de 11 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence. 488 000 enfants souffrent de malnutrition aigüe et risquent une mort imminente. Il s’agit de l’une des pires crises humanitaires actuelles selon l’ONU.