L’UNION EUROPÉENNE FACE A LA RÉALITÉ DE L’ÉNERGIE

Durée de la conférence : 1h30

Intervenant : Samuel FURFARI

Communication et logistique : Eric CAMPION, Julien PIEL, Bérénice ROUPSARD

Animation : Eric CAMPION, Bérénice ROUPSARD

Conférence de M. Samuel FURFARI

1. Brève histoire de l’énergie

Depuis que l’Homme existe, il a besoin d’énergie. Jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, nous avons vécu de l’énergie musculaire de l’homme, des animaux, des esclaves et de la biomasse. Puis, il y a eu la révolution de la machine à vapeur de James Watt. Cela a déclenché la révolution industrielle marquée par l’exploitation du charbon.

En 1919, la fin de la Première Guerre Mondiale avec le Traité de Versailles marque un tournant. Pour punir l’Allemagne, ce traité prévoit une réduction de plus de 40% de la consommation énergétique allemande. Il s’agit d’une sanction très lourde dans la mesure où l’Allemagne s’était justement fortement industrialisée. Toutes les personnes qui dépendaient de l’énergie ont ainsi perdu leur travail. L’économiste John Meynard Keynes avait averti : sans énergie, l’Homme ne peut pas vivre. A cet égard, il a publié le livre Les conséquences de la paix. 

En 1950, Schuman comprend la leçon instiguée par Monnet et ne reproduit pas l’erreur de 1919. Au lieu d’imposer des restrictions sur l’énergie, il propose de su’nir autour de l’énergie considérant que l’énergie est le moteur de toute relation humaine.

Après l’échec de la politique de défense commune, les Européens se rencontrent à Messine où ils décident deux choses :

  • la création d’un marché unique (agriculture et transport)
  • la création d’une politique d’énergie commune

à Messine, les Européens affirment qu’il n’y aura pas d’avenir pour l’Europe sans énergie abondante et bon marché. Il n’y aura pas d’avenir pour le monde, sans énergie abondante et bon marché. Aujourd’hui, il faudrait ajouter l’adjectif « propre » : il n’y a pas d’avenir pour le monde sans une énergie abondante, propre et bon marché. 

Dans les années 1970s, les crises pétrolières ont marqué un nouveau tournant. Le nucléaire et le charbon ne suffisant plus, de nouvelles technologies et de nouvelles solutions ont vu le jour : le pétrole en mer du Nord, les recherches para-pétrolières avec le programme oil and gaz et les programmes d’économies d’énergie et d’énergies renouvelables. Au même moment, le nucléaire civil est arrivé à maturité. La détermination de l’UE de développer des technologies alternatives au pétrole n’a rien à avoir avec le changement climatique. Il s’agissait avant tout de faire face aux crises pétrolières.

2. Les énergies renouvelables au coeur de la politique énergétique européenne contemporaine ?

Au début du siècle, les technologies d’énergies renouvelables existent, mais elles sont toujours quasiment absentes dans le mix énergétique européen. Dans les années 2000s, ce constat  pousse l’UE à adopter des directives pour obliger la production d’énergies renouvelables, la co-génération ou encore la production de bio-carburants.

En octobre 2000, la Commission européenne publie un livre vert sur la sécurité énergétique. Ce livre vert a posé 4 principes, qui n’ont pas été respectés :

  1. Diversifier les sources d’énergie
  2. Diversifier les pays d’approvisionnement[1] 
  3. Diversifier les chemins d’acheminement
  4. Maîtriser la demande énergétique

Tout y était : on ne peut pas avoir de tabou sur l’une ou l’autre des énergies.

En 2007, sous l’impulsion de Mme MERCKEL, l’UE a lancé une politique de développement des énergies renouvelables. En 2008 est adopté le paquet climat-énergie ou plan climat, plan d’action adopté par l’Union européenne visant à mettre en place une politique commune en matière d’énergie et de lutte contre le changement climatique. Il a pour objectif de permettre la réalisation de l’objectif « 20-20-20 » ou « 3×20 » visant à :

  • faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20 % ;
  • réduire les émissions de CO2 des pays de l’Union de 20 % ;
  • accroître l’efficacité énergétique de 20 % d’ici à 2020.

Alors que les deux premières mesures sont contraignantes, la troisième n’a, jusqu’à présent, aucune valeur juridique. Cet objectif a été atteint grâce aux effets de la crise économique de 2008.

La Commission Juncker apoursuivi en ce sens en fixant des objectifs plus ambitieux : au moins 32 % de la consommation énergétique de l’Union européenne devra provenir de sources renouvelables (soleil, vent…) d’ici 2030, et l’efficacité énergétique (isolation, etc.) devra être accrue de 32,5 %.

Le Green Deal de la Commission Van der Layen, veut aller plus loin et plus vite : 40% d’énergie renouvelable en 2030 et 100% de décarbonation en 2050. Les Etats Membres n’ont pas accepté d’objectifs contraignants.

Ces ambitions sont fortes et apparaissent peu réalistes. Il faut tout d’abord rappeler les deux grands freins au développement des énergies renouvelables :

  • L’intermittence : il faut des centrales thermiques pour développer les énergies renouvelables. Une éolienne ne peut pas produire à la demande. Ainsi, une éolienne a un niveau de charge de 21%, tandis que celui des panneaux solaire est de 11%.
  • L’utilisation de terres rares : la construction d’énergies renouvelables nécessite l’utilisation de nombreuses terres rares. Or, l’extraction des terres rares constituent un enjeu de souveraineté : ne disposant pas des compétences, nous développons une dépendance à l’égard des pays qui ont cette compétence (Chine). 

L’autre élément à avoir en tête est l’effet du développement de ces énergies sur les prix de l’énergie : les énergies renouvelables vont augmenter le prix de l’énergie. Certes le prix des panneaux solaires chutent, mais un panneau solaire doit s’intégrer dans un réseau électrique. Le système électrique est complexe.

Après 40 ans d’effort, l’éolien et le solaire ne représentent que 2% du mix énergétique européen. Comment va-t-on arriver à 40% ? Notre intervenant soutient que c’est impossible. Galvanisée par la politique du « tout renouvelable », l’UE a arrêté les recherches dans les énergies fossiles. Pire, on a commencé par dire que l’on avait pas besoin de gaz. Par exemple, l’Algérie fournit du gaz à l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Mais la France s’oppose à la connexion à la péninsule ibérique. En Italie, on produisait du gaz, mais on a quasiment arrêté. Il y a même eu un référendum contre le gaz en Italie.

3. L’énergie dans la crise ukrainienne

Le Président V.Poutine savait que le gaz russe ne peut être remplacé ni par le gaz norvégien, ni par les éoliennes. Nous avons répété l’erreur de Versailles.

En attendant les Etats-Unis font ce qu’ils veulent : ils produisent du charbon, du gaz (15 fois moins cher qu’en Europe), du pétrole. Le pays importateur de gaz de schiste  était la France avant la COVID !

Il faut trouver un compromis avec Poutine car 70% du gaz utilisé en Allemagne sert au chauffage domestique. L’hiver prochain est là. Il faut trouver des solutions d’urgence. Le gaz Norvégien ne suffira pas. Pour remplacer le gaz russe par du gaz liquéfié il faudrait que la Chine coupe 50% de son gaz.

La politique climatique a détruit la politique d’approvisionnement.

Questions-réponses :

  • Qu’en est-il de l’hydrogène ?

La Commission a commencé à travailler sur l’hydrogène en 1959. Depuis lors, elle a travaillé dans ce domaine. La conclusion tirée : il n’y a pas de sens à créer de l’hydrogène. On a besoin d’énergie pour produire de l’hydrogène. Mais il y a quand même une perspective : nous devons développer des réacteurs nucléaires à haute température, pour dissocier la molécule d’eau.

Concernant l’utilisation de l’hydrogène comme moyen de stocker le surplus d’énergie des énergies renouvelables, le rendement est de 28%. si on prend en compte, en plus, le niveau de charge des éoliennes : le rendement est extrêmement faible. Il faudrait 3 fois plus d’éoliennes.

Pour en savoir plus : https://www.amazon.fr/Lutopie-hydrog%C3%A8ne-Samuel-Furfari/dp/B08GDKGDHL

  • Quels sont les espoirs, même lointains, de la fusion nucléaire ?

Le programme ITER est en train de subir les embargos de la guerre en Ukraine. La Russie pèse 11% dans le consortium du programme. La contribution se fait par la livraison de produits, et notamment par la livraison d’un rotor, qui est aujourd’hui suspendue.

Il faut continuer la recherche. On a besoin de la fusion nucléaire. Le monde entier travaille là-dessus.

En Angleterre, il y a eu des essais encourageants.

Pour en savoir plus : https://www.europeanscientist.com/fr/energie/fusion-nucleaire-un-pas-en-avant-dans-la-science-et-pour-la-fission-nucleaire/

  • Quelle est l’importance d’un réseau européen ? Nous avons besoin d’interconnexion entre Portugal et Espagne.

Il y a 7 terminaux gaziers en Espagne, 1 au Portugal. Mais ce réseau est bloqué par la France.

  • Faut-il changer les objectifs de décarbonation d’ici à 2050 face à cette guerre ukrainienne ?

La Commission européenne est coincée car elle a promis d’atteindre la décarbonation. Mardi 8 mars, elle a publié un document qui continue dans ce sens : solidarité entre États Membres, développement des panneaux solaires, levée des barrières administratives, développement de d’hydrogène…  On ne finance que les énergies renouvelables. Or, on se rend compte que l’on est dépendant du gaz russe. Il n’y a pas de solution. On n’a plus le temps. On devrait développer des solutions que l’on présente comme étant néfastes depuis des années (exemple gaz de schiste).

  • L’explication que le renouvelable fait augmenter le prix de l’énergie est une affirmation qui va à l’encontre de l’idée communément répandue. Comment faire pour faire évoluer les mentalités ?

On peut peut-être remercier M.Poutine pour cela : on s’est pris la réalité de l’énergie en pleine face. L’erreur de la Commission européenne est de concentrer son discours sur l’électricité. Petit rappel : l’électricité représente 22% du mix énergétique européen, le carburant 28% et le chauffage 50%.

Notre erreur est notre « hibernation géologique ». On a fermé les écoles d’ingénieur en géologie. Les USA ont continué à croire aux sous-sols, les Chinois aussi. La Chine a misé sur la géologie et a envahi l’Afrique. La Commission européenne a compris ça et a publié des rapports.

  • Quid des petites centrales nucléaires ?

Le seul handicap de la centrale nucléaire est son coût d’investissement qui se récupère sur 20 ans. Il faut une sérénité devant soi. De fait, le nucléaire se développe surtout là où il y a pas de démocratie. Comme le béton constitue 1/3 d’une centrale nucléaire, la réduction de la taille permettrait de réduire les coûts. On parle de SMR (Small Modular Reactor). On peut les ajouter les uns à cote des autres. C’est plus facile à construire, à transporter et à gérer. Aujourd’hui toutes les centrales nucléaires sont sur mesure : pourquoi ne pas faire des centrales en série ?

  • En France, nous avons le savoir-faire de petite centrale et faire des séries : les centrale de propulsion des sous-marins nucléaires particulièrement miniaturisées. Qu’en pensez-vous ?

Il faut convaincre de ne pas les faire que sur les sous-marins.

  • Quid des smarts cities ?

La smart city est une ville digitalisée. Il faut de l’électricité. Ce ne sont pas les toîts solaires qui vont permettre l’émergence de ces villes. Il faut de l’électricité en dehors de la ville. Les smart cities dépendent des réseaux électriques.

À noter que l’auto-production est une solution pour les ménages qui ont les moyens.

Quelques articles pour aller plus loin : Sur la Commission Juncker : https://www.taurillon.org/la-commission-juncker-et-la-politique-climat-energie-des-actions-pour


[1] La Russie était identifiée comme un géant énergétique dont il ne fallait pas totalement dépendre

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