Carlos LOPES (Union africaine) «Nous avons l’ambition de pouvoir parler d’une seule voix avec les différents partenaires du Continent»

par Alfred MIGNOT, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica

7 août 2020

#Europe-Afrique / Carlos LOPES (Union africaine) : « Nous avons l'ambition de pouvoir parler d'une seule voix avec les différents partenaires du Continent »
Carlos Lopes, Haut négociateur de l’Union Africaine avec l’Union Européenne, lors de sa participation à la visioconférence des Rencontres d’Aix-en-Seine, organisées depuis Paris par le Cercle des Économistes, le 5 juillet 2020. © Capture vidéo AP.P

Alors que les accords post-Cotonou auraient déjà dû être bouclés, et à la veille du sommet Europe-Afrique d’octobre prochain, des personnalités européennes toujours plus nombreuses appellent à «changer de regard» sur l’Afrique. Un point de vue renforcé par des propos récents de Carlos Lopes, Haut négociateur de l’Union Africaine avec l’Union Européenne.

Ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, Carlos Lopes est depuis juillet 2018 le Haut négociateur de l’Union Africaine avec l’Union Européenne, en particulier pour finaliser les accords post-Cotonou, qui sont arrivés à échéance, et dont les négociations ont pris du retard.

C’est précisément sur ce thème des relations Europe-Afrique que Carlos Lopes a participé, notamment avec la ministre franco-africaine Elisabeth Moreno, à une visioconférence de haut niveau, organisée au début de juillet dans le cadre des Rencontres parisiennes d’Aix-en-Seine du Cercle des Économistes.
L’occasion, pour l’économiste Bissau-guinéen de rappeler quelques «réalités» toutes simples, que l’on a souvent tendance à oublier…

Ainsi Carlos Lopes relève-t-il d’abord combien cette année 2020 revêt une importance particulière pour l’avenir des relations entre les deux continents, avec d’une part l’aboutissement espéré des négociations sur l’accord post-Cotonou, et d’autre part parce qu’en octobre se tiendra à Bruxelles le VIe sommet Europe-Afrique qui devrait aboutir à l’établissement d’une «Stratégie commune Afrique-UE», voire d’une «Alliance», selon l’expression de Jean-Claude Juncker, précédent président de la Commission européenne.

«L’Union africaine veut distinguer la relation post-Cotonou de la relation de continent à continent, car [celle-ci] doit se centrer sur des domaines très spécifiques (…) qui ne peuvent pas être négociés par d’autres instances que l’Union africaine», explique Carlos Lopes. Ce sont des responsabilités et des mandats [qui relèvent] de l’Union africaine. Concrètement, il s’agit des questions de paix et sécurité, de migrations, les questions liées au changement climatique, mais surtout de la question commerciale.»

«Établir une relation équilibrée»
entre l’Europe et l’Afrique

Cette question d’une relation commerciale mieux équilibrée avec l’Europe – «on ne peut pas le faire si l’on continue dans une relation basée sur l’export de matières premières non transformées» – est évidemment cruciale, car si la Chine est le premier partenaire de l’Afrique en tant que pays, c’est bien l’Europe des 27 qui est toujours le premier partenaire global, le premier investisseur, le premier pourvoyeur d’aide au développement – même si les montants sont devenus «ridicules», comparés à la croissance du PIB africain –, et la première source des transferts d’argent de la diaspora.

Pour autant, il faut aussi avoir présent à l’esprit que l’Afrique est le troisième partenaire commercial de l’Europe… Mais jusqu’ici, «notre relation avec l’Europe est marquée par une multitude d’accords commerciaux qui réduisent le poids de l’Afrique et qui négligent les possibilités d’établir une relation équilibrée», regrette Carlos Lopes, relevant qu’avec l’établissement d’un accord de libre échange à l’échelle du continent africain (la ZLECA), «nous avons l’ambition de pouvoir parler d’une seule voix avec les différents partenaires du continent»
Cette ambition «est très importante (…) stratégique» car la manière dont s’établira cette relation servira de «canevas pour engager d’autres partenaires aussi importants.»

Deux ou trois choses sur le ménage
à trois Europe, Afrique et Chine

Sujet devenu incontournable, la question du rôle de la Chine en Afrique a bien sûr été abordée lors de cette visioconférence des Rencontres parisiennes d’Aix-en-Seine du Cercle des Économistes.
L’occasion pour Carlos Lopes de rappeler à nouveau quelques réalités «contre-intuitives».

Par exemple : les investissements chinois en Afrique ne représentent «que» 15% de leur portefeuille d’investissements dans le monde. Et pas plus «que ce qu’ils investissent dans un pays comme le Pakistan», relève le Haut négociateur de l’UA, avant de commenter : «Ce qui veut dire qu’avec très peu d’argent, les Chinois occupent énormément d’espace. La raison, c’est l’érosion de l’investissement européen, malgré le fait qu’il soit toujours le premier, et aussi de l’investissement américain et britannique, maintenant séparé du reste de l’Europe.»

Le poids de la Chine en Afrique doit donc être relativisé par rapport à ses engagements ailleurs dans le monde.

La Chine sait investir
dans le «capital réputationnel»

Ainsi, explique encore Carlos Lopes, il est très important de savoir que la stratégie chinoise pour l’Afrique distingue trois types de pays : un groupe représentant des intérêts économiques stratégiques, à cause des matières premières qu’ils possèdent ou des possibilités de marché qu’ils offrent; un deuxième groupe non stratégique mais présentant un intérêt d’occupation de marchés; un troisième groupe de pays négligeables du point de vue économique, mais importants pour la réputation de la Chine.

Les Chinois s’engagent donc dans ces petits pays «avec des montants relativement faibles. Mais cela leur permet d’avoir une présence sur l’ensemble du continent, présence très assise sur le capital réputationnel.»

Les Africains aussi sont
des investisseurs… en Chine!

Autre vérité contre-intuitive évoquée par Carlos Lopes : les Africains ne font pas que subir le prétendu activisme unilatéral des Chinois; les Africains sont aussi des acteurs de cette relation et… ils investissent en Chine!

Ainsi, à titre d’exemple, Carlos Lopes évoque le cas du conglomérat sud-africain Naspers qui, avec 30% des actions, est le le plus important actionnaire de Tencent, la plus grande entreprise high-tech de Chine.

Autre exemple : Ethiopian Airlines domine complètement le ciel entre l’Afrique et la Chine, avec 52 vols par semaine vers la Chine, alors que la Chine ne propose que quatre vols par semaine vers l’Afrique.
«Il faut donc relativiser et ne pas donner l’impression que les Africains sont juste des enfants qui reçoivent des cadeaux chinois», conclut le Haut représentant de l’Union africaine.

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