29 avril 2020
Si l’idée que le monde d’après la pandémie sera différent fait consensus, personne ne sait dire à quoi il ressemblera vraiment. Mais, il est certain que les obstacles à la construction d’un avenir commun Europe-Afrique «resteront insurmontables si nous conservons les règles d’hier pour imaginer demain». Plaidoyer pour ne «pas gâcher cette crise».
Une contribution de Yves DELAFON
Président AFRICALink
Administrateur du Groupe Banque pour le Commerce et l’Industrie
Titre originel :
Reconstruire par des alliances régionales
Publié originellement sur le site AfricaPresse https://www.africapresse.paris/COVID-19-AFRIQUE-Yves-DELAFON-President-AFRICALink-La-France-et-l-Union
La période est propice à toutes les explications, à toutes les démonstrations avisées, et éminentes réponses d’experts. Chaque «ami» de nos réseaux dits «sociaux», devient économiste, épidémiologiste, Chef d’État, Saint-Just, chef de guerre ou dénonciateur de complots qui rassurent l’inculture des réseaux. La vérité est que nous ne savons pas grand-chose du futur d’un monde qui déraille «tranquillement», au prétexte d’une pandémie qui nous tétanise.
Nous sommes dans cet entre-deux mondes qu’évoquait le penseur et révolutionnaire italien Antonio Gramsci (1891-1937), où l’ancien n’est pas tout à fait mort et le nouveau balbutiant, et où tout est possible.
Nous ne savons pas grand-chose du futur d’un monde qui déraille tranquillement au prétexte
d’une pandémie qui nous tétanise
Cette crise n’est pas due au hasard. L’apparition d’un virus comme le Covid-19 n’est pas originale et le monde a connu de pires épidémies. Ce n’est pas lui qui a généré la crise, il a seulement été le déclencheur d’une réaction en chaîne, devenue incontrôlable, autant en termes sanitaires, qu’en matière économique.
Sanitairement, parce qu’il n’est plus tolérable, pour des raisons de morale contemporaine autant que politique, de reconnaître la réalité de morts individualisés et médiatisés. Il est par ailleurs effarant et inacceptable, pour une société riche et anesthésiée en permanence par ses élites, de tolérer chez elle ce qu’elle supporte pourtant comme une malheureuse réalité dans les pays émergents! 25 000 morts de faim, par jour, ont-ils jamais eu une véritable incidence sur nos options sociétales?
Économiquement, en conséquence du choix sanitaire, et parce qu’il était indispensable d’éviter l’effondrement total et immédiat de l’organisation du monde, nous avons dû mobiliser, en les inventant, des moyens financiers dont la source, le volume et la gestion étaient absolument inimaginables il y a seulement deux mois. Fonds dont le futur traitement «comptable» reste une énigme et un défi à l’imagination pour tous.
Ces choix ont-ils été les meilleurs? Nous n’aurons probablement pas les éléments de comparaison pour le savoir. Ils sont décidés, partagés, par la quasi-totalité des gouvernements du monde dont c’est d’ailleurs la vocation première.
.Le Nord et le Sud se retrouvent dans une interrogation vitale où s’opposent la tentation du repli sur soi et la nécessité de la coopération.
Oscillant entre sidération et espoir d’un nouvel ordre mondial, le Nord et le Sud se retrouvent dans une interrogation vitale où s’opposent la tentation du repli sur soi et la nécessité de la coopération. La première suppose le déni des réalités économiques comme de notre humanité, la seconde se heurte à l’arrogance de la puissance du Nord, comme à la division et à la dépendance du Sud.
Ces obstacles resteront insurmontables si nous conservons les règles d’hier pour imaginer demain.
Nous avons l’occasion unique d’enrayer des spirales infernales qui se sont emballées. Au nord avec une spéculation financière devenue incontrôlable et des économies basées sur la consommation boulimique plutôt que sur l’usage; au Sud, trop souvent, avec des gouvernances dont le pseudo caractère «culturel et traditionnel» est devenu le cache-sexe de l’indigence intellectuelle et de la compromission.
Rien ne se fera cependant en donnant des conseils, en proposant et finançant des modèles importés et hors sol. Nous nous y sommes essayés depuis soixante ans, sans succès!
L’Europe, en particulier, a suffisamment à faire pour protéger ses valeurs, se reconstruire, et éviter que son idéal démocratique ne devienne la «Ligne Maginot» d’une guerre qui dépasse largement la pandémie actuelle, et dont les ennemis sont le populisme et les nationalismes.
Les pays d’Afrique, dans leur kaléidoscope culturel, historique et économique, doivent nécessairement entrer dans l’économie mondiale dont ils sont un des prochains moteurs de la croissance. Leurs émergences, inéluctables, ne peuvent être qu’endogènes. Les modèles sont à inventer et ils ont maintenant le choix des partenaires, de Pékin à Ankara, et de Washington à New Dehli, qu’ils voudront y associer et qui attendent à leurs portes.
Le continent africain n’a pas besoin d’aide, mais d’associés apportant des compétences complémentaires
Leurs histoires souvent partagées, leur proximité et leurs complémentarités rendent naturelle la coopération entre l’Europe et Afrique, et évidente la construction d’un avenir commun. La France, en Europe, l’affirme par la voix de son Président, l’Union Européenne le confirme, même si encore insuffisamment. Toutes deux comprenant qu’un échec du partenariat avec l’Afrique leur serait désastreux.
La crise actuelle révèle, entre autres, les limites d’une mondialisation calibrée sur le court terme, le profit maximal et fragile, les flux tendus. Une régulation s’impose donc, autant pour en limiter les excès que pour en préserver les succès. Elle démontre également l’extrême fragilité de petits États n’ayant ni les ressources humaines, ni les moyens financiers pour briser les dépendances mortifères étrangères.
L’Europe et l’Afrique se retrouvent sur la nécessité commune de confirmer pour l’une, et de construire pour l’autre, des entités, des unions régionales, seules capables de leur permettre de maîtriser leurs émergences, leurs avenirs, leurs souverainetés.
À chacun des pays africains de faire ses choix, d’y associer ou non ses voisins et de proposer aux pays (encore) riches d’en être les partenaires.
Le continent africain n’a pas besoin d’aide, mais d’associés apportant des compétences complémentaires.
C’est probablement ainsi, ensemble et décomplexés dans le cadre d’intérêts bien compris sur le long terme, que nous pourrons contribuer à remettre le monde sur une autre voie, à ne pas gâcher cette crise.