Quand la Covid-19 amène santé et hygiène publiques à questionner l’urbanisme

Par l’Ambassadeur Bernard Valero, directeur général de l’Agence des villes et territoires méditerranéens durables (Avitem)

Véritable révélateur, la pandémie de la Covid-19 a soulevé de multiples questionnements :  sur le sens à donner à la Communauté dite internationale au moment où les frontières se fermaient et ou la tentation du chacun pour soi piétinait les velléités de solidarité, sur les inégalités territoriales et sociales crûment mises en lumière par les confinements, sur le crédit de la parole scientifique et du discours politique, sur les solidarités entre générations et entre les peuples, sur la place de la Nature et notre rapport à l’environnement. Fertile en interpellations, cette crise doit désormais laisser la place au temps fécond des réponses.

Souvent de manière intuitive faute de savoirs scientifiques suffisants, les villes, au fur et à mesure de leur croissance démographique et territoriale, ont entrepris depuis le 19e siècle des travaux d’urbanisme inspirés notamment par la crainte atavique des fléaux de l’insalubrité et des épidémies : loi de 1765 interdisant les cimetières en ville, apparitions des premiers grands parcs urbains et percées à Paris du Baron Haussmann sous le second Empire, ou encore l’arrivée de l’eau de la Durance à Marseille en 1849. A quelques encablures de notre frontière la conception du quartier de l’Example à Barcelone s’inscrit dans le changement d’état d’esprit observé au 19ème siècle.

Si les illustrations abondent de la prise en compte de la santé publique dans de nombreuses opérations d’aménagement et/ou de développement urbain, celles-ci étaient induites alors par l’accroissement démographique des territoires urbains, par la mémoire collective et douloureuse des épidémies et crises sanitaires des siècles passés, et enfin par une intuition, progressivement confirmée par les progrès de la science, d’une relation avérée entre la qualité de l’environnement urbain et la santé des citadins.

Le Covid-19 questionne le développement urbain

Deux siècles plus tard, la pandémie de la Covid19, qui a mis des pans entiers de la planète en mode pause, revient brutalement questionner le modèle de développement urbain sur lequel les villes contemporaines se construisent : étalement et densification du tissu urbain, place de la voiture, usages intensifs, voire excessifs, du nexus eau-alimentation-énergie, peau de chagrin des espaces chichement concédés à la nature, qualité de l’air, autant de sujets au regard desquels sont de plus en plus mis en relation cancers, stress, accidents cardio-vasculaires, affections respiratoires, etc…Au-delà du coût économique et social élevé qu’entrainent ces maladies urbaines, des souffrances individuelles qu’elles provoquent, des tensions qu’elles exercent sur la chaine médico-hospitalière, elles mettent de plus en plus en lumière les inégalités sociales et territoriales qui fissurent les ensembles urbains et y altèrent profondément le vivre ensemble.

Si le bilan est lourd, la prise de conscience du lien urbanisme-santé et de la nécessité d’une correction de trajectoire s’installent non seulement dans les esprits mais aussi dans les projets des citoyens, des autorité politiques et des porteurs de politiques publiques. La Covid-19 aura été dans ce contexte un accélérateur de maïeutique au bénéfice :

  • De l’attention croissante portée à la qualité de l’air, de l’eau, au traitement des déchets,
  • De la nécessaire réduction de l’espace et des investissements livrés en pâture à la voiture depuis 70 ans, du développement des transports publics et des mobilités douces,
  • Du retour de la Nature en ville (végétalisation, espaces verts, forêts urbaines, coulées et trames vertes, agriculture urbaine, biodiversité en ville, solutions fondées sur la nature, lutte contre les ilots de chaleur),
  • De la réanimation des cœurs de ville,
  • Du vivre-ensemble, des modes de vie urbains, de l’organisation du travail, des usages de l’espace public,
  • De l’architecture (efficacité énergétique des bâtiments, ouverture des logements sur l’extérieur, luminosité des intérieurs, multi-usages des immeubles, espaces de coworking),
  • Des déclinaisons de la frugalité (énergies renouvelables, économie sociale et solidaire, recyclage, tri, économie verte)

Villes et santé : un sujet majeur de coopération pour les Méditerranéen

A tous les niveaux des politiques publiques, du national au municipal, mais aussi sur le vaste champ des initiatives citoyennes, des dynamiques de projets se mettent un peu partout en branle et font l’objet de coopération internationales multi-niveaux de plus en plus vigoureuses. A cet égard et pour s’en réjouir, la création par l’OMS, dès 1986, du Réseau des Villes-Santé avait ouvert une voie à un changement de regard sur les villes et sur le rapport de celles-ci à ceux qui les habitent.

Les Méditerranéens tiennent là un sujet majeur de coopération au moment où ils se mobilisent sur la relance et pour les plus audacieux d’entre eux sur la transformation. De Casablanca à Barcelone, de Tunis à Venise les questionnements sur villes et santé sont les mêmes, les attentes des Méditerranéens urbanisés, quelle que soit leur latitude, sont les mêmes, les aspirations au mieux vivre en ville sont les mêmes, autant agir sans tarder pour faire en sorte que les réponses soient construites et partagées collectivement entre tous les acteurs de l’urbain.

Vendredi 24 Juillet 2020

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