« LES OUTRE-MER : FORCE OU FAIBLESSE POUR UNE EUROPE PUISSANCE ? »

CONFÉRENCE DU 19 MAI 2022

Intervenant : Patrice VERMEULEN, Administrateur général des Affaires Maritimes (2e section), dirigeant du Cabinet Vert2Mer Conseil, animateur du Groupe de réflexion sur les outre-mer français dans la zone d’influence indo-pacifique

Communication et logistique : Eric CAMPION, Bérénice ROUPSARD

Propos introductifs par Eric Campion, Président du Comité Français de l’Union Paneuropéenne

L’indo-pacifique constitue le  centre de gravité du monde, concentrant près de 60 % du commerce. Il s’agit d’une zone stratégique du point de vue économique et culturel. Néanmoins, cette zone est également marquée par diverses menaces qu’il faut prendre en compte. S’y concentre ainsi des enjeux cruciaux (environnementaux, sécuritaires, économiques…).

Intervention de Patrice Vermeulen, Administrateur général des Affaires Maritimes

Pour commencer, il est important de rappeler que les outre-mer constituent un sujet peu traité au niveau européen. Pourtant, l’Europe peut être perçue comme un archipel et non comme un continent lorsque l’on prend en compte les territoires d’outre-mer. Cependant, cet archipel est en attrition depuis la décolonisation et, plus récemment, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne.

La présente communication s’inscrit dans le cadre de la réflexion du Comité Français de l’Union Paneuropéenne autour de la notion d’Europe puissance. Après un bref état des lieux sur le sujet, les forces et les faiblesses que représentent les outre-mer pour l’UE seront évoquées. L’objectif est que chacun puisse se faire sa propre idée sur le sujet : les outre-mer, force ou faiblesse pour l’Europe ?

1- États des lieux des outre-mer européens

Les outre-mer européens n’ont pas tous le même statut. On distingue 3 statuts différents, correspondant à 3 niveaux d’intégration différents.

  • les régions ultra-périphériques [RUP] (article 349 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE) : ce sont les territoires les plus intégrés à l’UE. Ils font généralement partie de la zone euro et de la zone TVA, s’intègrent complètement dans le droit européen avec parfois quelques exemptions qui leurs sont favorables. Dans la plupart des cas, ces territoires font partie de l’espace Schengen. On en compte 9 : la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin [partie française] et Mayotte (France), les Canaries (Espagne), les Açores et Madère (Portugal).
  • les Pays et Territoires d’Outre Mer [PTOM] (article 198 du TFUE) : ces territoires sont moins intégrés. Il n’appartiennent pas à l’UE : ils ne font généralement pas partie de la zone euro, connaissent une application minimale du droit européen et ne font pas partie de l’espace Schengen et de la zone TVA. Il s’agit de territoires intermédiaires entre les RUP et les pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique). On y retrouve la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, les Terres australes et antarctiques françaises, Saint-Barthélémy, Saint-Pierre-et-Miquelon (France), Aruba, Curaçao, Bonaire, Saba, Saint-Eustache, Saint-Martin [partie néerlandaise] (Pays-Bas) et le Groenland (Danemark).
  • Les autres territoires à statut spécifiques : d’autres territoires disposent d’un statut spécifique comme Ceuta et Melilla (Espagne) ou les îles d’Aland (Finlande) qui font partie de l’UE ou les îles Féroé (Danemark) et Clipperton (France) qui ne font pas partie de l’UE.

On peut remarquer que la France dispose d’un nombre de territoires ultra-marins important.

2- Les outre-mer : une source de rayonnement économique et géopolitique

Lorsque l’on intègre les outre-mer à la géographie européenne, le continent connaît un accroissement territorial important (38%). Le Groenland apporte ainsi 2M km² supplémentaires alors que l’UE, avec les RUP mais sans les PTOM, dispose d’une surface de 4,2M km².

En matière de démographie, l’accroissement est moins évident. Les populations des outre-mer ne représentent que 1,2 % de la population européenne.

Par ailleurs, les outre-mer génèrent une série d’opportunités pour l’Europe :

  • Un atout stratégique : les territoires d’outre-mer offrent à l’Europe une présence sur tous les océans. Néanmoins, on observe que l’implantation militaire reste modeste voire en diminution. La France compte ainsi aujourd’hui 7150 militaires dans cet espace, dont 2100 militaires en Guyane et 2350 dans le Pacifique. En 2008, 8700 militaires étaient présent. La Marine y déploie 6 frégates de surveillance, 7 patrouilleurs légers, 4 bâtiments de soutien et d’assistance et 1 navire polaire L’Astrolabe. À cet égard, une commission sénatoriale souhaite augmenter la présence militaire française outre-mer, en acquérant notamment un patrouilleur supplémentaire par zone. Par ailleurs, on peut noter une présence militaire américaine au Groenland à travers une base de l’OTAN dont les effectifs sont également en baisse.
  • Un atout économique :  les territoires d’outre-mer sont marqués par un secteur primaire important avec des productions originales (bananes, canne à sucre, pêche tropicale et australe, perliculture). Le secteur secondaire est réduit mais compte quelques secteurs de pointe dont l’industrie spatiale (base de Kourou en Guyane), l’extraction de nickel (1/4 des réserves mondiales en Nouvelle-Calédonie) ou encore le raffinage pétrolier (Curaçao, Canaries). Sur ce point, on peut noter que la France refuse d’exploiter le potentiel pétrolier de ses outre-mer afin de respecter ses engagements en matière environnementale. Au Groenland, les réserves pétrolières identifiées représenteraient la moitié des réserves de l’Arabie Saoudite. Ce sujet est source de tensions : il existe un différend entre le Maroc et l’Espagne sur la question de l’exploitation pétrolière au large des Canaries dont l’économie locale repose sur le tourisme et qui s’opposent au développement de cette industrie. De même, le Pacifique est une zone où l’on trouve les nodules polymétalliques. Néanmoins, compte tenu des coûts extrêmement élevés et des préoccupations environnementales, leur extraction n’est pas encore développée. Le secteur tertiaire est porté par le tourisme et par une forte présence des administrations. Surtout, en intégrant les territoires d’outre-mer, la Zone Économique Exclusive de l’Europe s’accroît considérablement. L’UE détient ainsi la première ZEE au monde  avec 25M km² dont 97 % sont situés en outre-mer. Notons que la ZEE des États-Unis est de 12M km².  
  • Un atout environnemental : les territoires d’outre-mer constituent un véritable réservoir de biodiversité. La France dépasse les 30% d’aires marines protégées fixés par la Convention sur la diversité biologique grâce à ses outre-mer. Le Groenland abrite aussi le plus grand parc naturel du monde. On peut également noter le potentiel de développement des énergies renouvelables offert par ces territoires. Ces derniers pourraient devenir énergétiquement autonomes.

3- Les outre-mer : des territoires en proie à différentes menaces

  • Une instabilité politique : les outre-mer sont un vestige du colonialisme qui est régulièrement dénoncé en ces temps d’indigénisme et autre « wokisme ». De fait, et compte tenu du contexte actuel, les revendications sont fortes. Surtout, quand ce ne sont pas les peuples autochtones qui revendiquent leur indépendance, ce sont les États riverains qui revendiquent des droits sur ces territoires. C’est le cas, par exemple, des Comores pour Mayotte, de Madagascar sur les Îles Éparses, de Maurice pour Tromelin, du Maroc pour Ceuta et Melilla . Parfois, ces revendications sont poussées par des États tiers comme la Chine tant en Nouvelle-Calédonie que pour les Îles Éparses. La communauté internationale s’intéresse également à ces territoires. Selon l’ONU, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie sont des territoires à décoloniser. On peut également citer les requêtes de l’Union africaine concernant les Açores, Madère, les Canaries et Mayotte. Ce climat de revendications crée une instabilité politique permanente.
  • Des fragilités économiques : les outre-mer sont sur-administrées et largement subventionnées avec une économie souvent déséquilibrée. On observe ainsi une légère surreprésentation de l’agriculture et une faiblesse de l’industrie. Ces territoires rencontrent souvent des difficultés économiques créant des difficultés sociales. On peut noter pour exemple que, dans les outre-mer français, le taux d’allocataires au RSE s’élève à 15% contre 3% en métropole.
  • Des fragilités sociales : les territoires d’outre-mer sont souvent les territoires les plus pauvres des États-membres de l’UE, enregistrant un PIB inférieur. Dans le cas de la Martinique, le PIB est inférieur de 31 % par rapport au PIB de la métropole. Cette pauvreté provoque des tensions sociales. À cela s’ajoute une forte immigration qui s’explique par la prospérité relative de ces territoires vis-à-vis de leurs voisins. Les Canaries sont ainsi une porte d’entrée vers l’Europe pour les populations d’Afrique subsaharienne.
  • Une zone d’aléas climatiques : le réchauffement climatique expose les territoires d’outre-mer à de nouveaux risques, sinon à une intensification des phénomènes météorologiques intenses tels que les cyclones ou les submersions. Des mesures ont déjà été prises : à Saint-Pierre-et-Miquelon, le village de Miquelon devrait être déplacé en raison des risques de submersion. On peut également se rappeler des dégâts causés par le cyclone Irma à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin.

Ces fragilités sont néanmoins compensées partiellement par des programmes financiers de l’UE. Concernant les régions ultra-périphériques, la stratégie a été redéfinie en 2017 en matière de compétitivité, innovation et coopération pour permettre à ces territoires d’être mieux intégrés. Ce sont 13Mds€ de fonds structurels qui ont été alloués par l’UE entre 2014-2020. Cette aide sera renforcée pour la période 2021-2027 et s’élèvera à 17Mds€. Pour les pays et territoires d’outre-mer, il existe aussi des aides. Entre 2014 et 2020, 360M€ leur ont été versés et 500M € sont attendus pour la période 2021-2027.

Conclusion

Au-delà des forces et des fragilités, les outre-mer sont une chance pour l’Europe. Ils apportent une diversité culturelle permettant à l’Europe de rayonner à l’international. Ces territoires renforcent indéniablement la dimension mondiale de l’Europe.

Questions-Réponses

  • Comment prendre en compte les populations autochtones, leurs intérêts et leur culture, notamment les Amérindiens en Guyane ?
    • Patrice Vermeulen (P.V.) : Des politiques existent pour intégrer et respecter ces cultures et ces populations. On ne parle plus d’assimilation. C’est en associant les populations aux politiques que l’on peut réussir l’intégration.
  • Qu’en est-il de l’orpaillage en Guyane ?
    • P.V. : Je ne suis pas un spécialiste de la question. Néanmoins, je sais que l’orpaillage reste un fléau. Par exemple, les Brésiliens viennent illégalement et créent des tensions avec des mafias organisées. Dans certains cas, l’intervention de l’armée est nécessaire.
  • Votre exposé nous a permis de comprendre ce que l’Europe apporte dans les territoires d’outre-mer. Vous évoquez le savoir faire de l’Europe et je m’interroge sur le faire-savoir. On est aujourd’hui dans un déficit de lisibilité et de compréhension de l’action de l’Europe envers ces territoires. Il faut faire connaître. Vous avez dit que l’outre-mer est une chance pour l’Europe, mais en réalité je crois que c’est l’Europe qui est une chance pour l’outre-mer (cf les fonds FEDER).
    • P.V. : Effectivement, les outre-mer ne sont pas très connues et encore moins les outre-mer européens. La question de l’apport de l’Europe pour ces territoires n’est d’ailleurs pas forcément posée lors des débats sur l’indépendance. Or, contrairement aux territoires continentaux souhaitant l’indépendance comme la Catalogne, l’indépendance d’un territoire d’outre-mer s’accompagnerait nécessairement d’une sortie de l’Europe. Il faut prendre cet élément en compte.
    • Intervention de Bernard Salva depuis la Réunion : L’effort de communication est à faire dans un sens et dans un autre. Il est important de rappeler la fenêtre d’opportunité que représentent les outre-mer français sur le sujet de la francophonie. La Réunion est un îlot francophone dans un environnement anglophone. La Réunion a beaucoup d’atouts à mettre en valeur. A cet égard, concernant la stratégie indo-pacifique de la France, le Président Emmanuel Macron est venu faire un discours somptueux en 2020. A ma connaissance, il ne l’a pas encore décliné en véritable plan d’action.
    • P.V. : En effet, les outre-mer relèvent avant tout de la responsabilité des États-membres. L’Europe intervient surtout comme pompier à travers ses subventions. Mais ce sont bien les États qui ont la main. Il n’y a pas vraiment de politique européenne globale dans cette zone.
  • Pouvez-vous nous en dire plus sur le programme de remplacement des patrouilleurs ?
    • P.V. : Je n’ai pas d’informations récentes sur le sujet mais ce qui est certain, c’est qu’il y a une volonté de la France de doter les outre-mer de matériels adaptés. Se pose néanmoins la question du coût de cette opération, sachant que l’UE est déjà intervenue pour subventionner la construction de navires de service public.
  • Pour revenir sur le souci de communication, j’ai pu observer qu’en Guyane, il existe une très bonne connaissance au sein des administrations sur les dispositifs d’aide financières européennes (notamment sur les dispositifs spécifiques à l’outre-mer). Idem en Martinique et en Guadeloupe ! En revanche, est-ce que ça descend au niveau des populations ? On s’aperçoit qu’il y a un manque d’information de l’internationalité de notre pays. Nos politiques l’ignorent. A mon sens, il faut raisonner en Français. Ce serait bien trop complexe à gérer à l’échelle européenne. Il y a un vrai défi politique pour exploiter les richesses de ces territoires.
  • Quid de l’appétit chinois dans cette zone ?
    • P.V. : Aujourd’hui la Chine cherche à subjuguer ces territoires et soutient l’émancipation des territoires d’outre-mer dans la zone indo-pacifique. Par exemple, elle soutient les mouvements indépendantistes en Nouvelle-Calédonie et la revendication de Madagascar sur les Îles Éparses  du Canal de Mozambique en espérant y acquérir des droits de pêche et de prospection pétrolière.
  • -Quel est l’avenir des ports maritimes des outre-mer ?
    • P.V. : Sous réserve d’inventaire, certains ports d’outre-mer pourraient se trouver sur l’itinéraire des Nouvelles Routes de la Soie élaborées par la Chine. Il est certain que cela pourrait intéresser  certaines collectivités locales avec tous les risques que cela suppose. La priorité reste de préserver la souveraineté sur nos outre-mer en nous dotant des moyens les plus adaptés. La technologie évolue et permet de mieux contrôler ces espaces comme par exemple contre la pêche illicite (drones, satellites, …)
  • Comment faire en sorte que cet outre-mer, notamment français, qui se sent périphérique donc dévalué, puisse devenir, pour chaque territoire, un pôle de rayonnement ?
    • P.V. : C’est justement la réflexion qu’il faut mener. Comment agir pour faire des outre-mer des fers de lance européens ? A ma connaissance, il n’y pas encore de réflexion menée en ce sens au niveau européen.
  • Dans un monde de compétition de plus en plus agressive entre puissances, les moyens de défense de nos outre-mer semblent particulièrement dérisoires quand on voit la montée en puissance de la Chine et de quelques autres.
    • P.V. : Les moyens ne sont pas considérables mais, s’agissant des forces militaires, il ne faut pas prendre en compte seulement les forces positionnées outre-mer. En cas de nécessité, nous avons des moyens supplémentaires que nous pouvons projeter partout sur le globe.
  • Est-ce que vous pensez que nous pouvons maintenir la surveillance de cet empire maritime sans  une flotte européenne ?
    • P.V. : Cela pose la question d’une défense européenne. Pour l’instant, nous en sommes loin.  Il existe néanmoins une coopération militaire européenne comme l’a montrée l’opération Atalante de lutte contre la piraterie dans l’Océan Indien.

Pour aller plus loin :

Une page dédiée aux territoires d’outre-mer européens : https://www.touteleurope.eu/l-europe-en-region/l-outre-mer-europeen-22-territoires-relies-a-l-union-europeenne/

Document adopté à l’occasion ou en marge de la Conférence régionale des RUP tenue à Fort-de-France en début de semaine : https://regionreunion.com/actualite/toute-l-actualite/article/communique-de-presse-de-la-conference-des-presidents-des-regions-ultraperipheriques

Un article de réflexion sur les droits les outre-mer européens : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2019-1-page-99.htm?contenu=resume

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